Changement de cap pour l’industrie du tourisme
Les conséquences de la Covid-19 amènent les entreprises du secteurs touristiques, y compris les écoles de tourisme, à revoir leurs stratégies. Il est nécessaire d'avoir une vision "de l'après coronavirus" pour relancer l'industrie du tourisme qui est aujourd'hui le secteur économique le plus touché mais aussi important (8% du PIB). Michel DURRIEU, Directeur Général du Comité Régional du Tourisme (CRT) de Nouvelle-Aquitaine, accorde une interview au magazine Tourmag afin de faire part de son ressenti sur la situation que nous traversons et le changement de cap qu'il nous faudra adopter.
Extraits choisis :
TourMaG.com - Avez-vous d'ores et déjà estimé l'impact de la crise liée à l'épidémie de coronavirus pour la Nouvelle-Aquitaine ?
Michel Durrieu : Le tourisme international est bloqué. Cet été nous ne pourrons pas compter sur les clientèles étrangères. Selon les estimations des compagnies aériennes, la capacité aérienne ne devrait pas excéder plus de 50% de leur capacité de trafic d'ici la fin de l'année.
Les frontières ne seront pas ouvertes en globalité et celles qui ouvriront mettront en place des contraintes sanitaires importantes. La reprise très lente pour les voyageurs internationaux débutera timidement à la fin de l'année.
TourMaG.com - Quelles seront les conséquences de l'absence de cette clientèle étrangères ? Les Français viendront-ils plus nombreux ?
Michel Durrieu : La Nouvelle-Aquitaine est la première destination en France pour les touristes français. Sur 32 millions de touristes, 28 millions sont des visiteurs français et 4 millions des visiteurs étrangers.
L'absence cette année de ces touristes internationaux aura un impact sur une partie des acteurs touristiques, notamment le secteur marchand. L'impact sera important sur les recettes touristiques avec plusieurs milliards en moins.
En terme de fréquentation, nous nous attendons à une perte de 4 millions de visiteurs correspondant aux voyageurs étrangers mais également à une dégradation sur la fréquentation française.
Michel Durrieu : Les grandes structures, les Grottes de Lascaux ou la Cité du Vin... se préparent à aménager une offre et des parcours en vue d'obtenir les autorisations sanitaires qui seront mises en place par l'Etat. L'objectif est d'éviter les files d'attente et les visites regroupées. Tout un travail est effectué sur la mise en place de cadencement, de procédure de désinfection des audio guides, ou d'un système de vente en ligne de billets avec une plage horaire. Mais il faudra voir si le cadre imposé ne sera pas plus important.
Les acteurs touristiques ont eu dû mal à intégrer que le confinement serait long et que le dé-confinement le sera tout autant. Toutes les mesures qui seront demandées pour assurer la sécurité des consommateurs auront un coût alors même que la saison touristique sera amputée. Se pose la question de la rentabilité. Certains opérateurs ont estimé qu'une ouverture deviendra compliquée au-delà du 1er juillet.
TourMaG.com - Prévoyez-vous une campagne de promotion pour relancer la machine ?
Michel Durrieu : Nous n'avons nullement besoin d'une campagne de communication. Nous sommes dans une situation où les voyageurs étrangers ne peuvent pas venir en France. La communication à l'international n'a aucun sens. Il faudra commencer à y penser en octobre, mais pas avant.
Quant à cibler la clientèle française, je ne suis vraiment pas persuadé qu'il soit nécessaire d'expliquer au Français où ils doivent aller. Se lancer dans une bataille de communication entre régions françaises, je trouverais cela un peu indécent. Le seul message à faire passer et qui doit être adressé par le gouvernement lui-même est le suivant : "toutes les conditions sont réunies pour que vous puissiez partir en vacances". Lorsque les conditions sanitaires le permettront il faudra trouver une formule simple et efficace pour faire comprendre aux Français qu'ils pourront à nouveau voyager en France cet été.
J'espère que nous trouverons un message à l'image du "Restez chez vous" pour faire comprendre que les Français pourront à nouveau voyager.
TourMaG.com - Cette crise n'est pas comme les crises précédentes. Y aura-t-il un avant et un après coronavirus ?
Michel Durrieu : Ce serait une erreur de croire que tout va continuer comme avant. Après le confinement, il y aura une période de transition puis de transformation.
Les attentes des consommateurs vont évoluer. Le tourisme durable, le développement territorial sont des sujets qui ont déjà émergé mais qui vont devenir centraux. Nous allons réaliser sur ces sujets en moins de 5 ans ce que nous nous apprêtions à faire en 10 ou 15 ans. Les voyageurs vont vouloir se rendre dans des lieux plus respectueux de l'environnement, utiliser des transports plus propres. Les signaux étaient présents mais ils vont devenir beaucoup plus forts. Les consommateurs vont sans doute voyager moins loin et chercher des expériences plus individuelles. Les petites structures devraient être davantage plébiscitées.
La montagne et la campagne vont prendre davantage de place dans le paysage touristique. Mais il faudra des investissements colossaux pour que tout le secteur s'adapte à ces nouvelles attentes plus "vertes", plus durables et responsables.
Regardez dans le transport : Airbus et toute la chaîne de sous-traitants vont devoir accélérer sur les nouveaux modes de propulsion des avions. La technologie existe, mais il faudra des moyens colossaux pour la mettre en oeuvre à l'échelle industrielle. Il faut repenser l'ensemble de la production.
Dans le cadre du Schéma Régional de Développement du tourisme et des Loisirs en Nouvelle-Aquitaine nous avions la volonté de devenir la première destination durable de France. Cette démarche s'inscrivait dans le temps. Mais cette ambition va devenir une priorité, il va falloir passer à la vitesse supérieure.
Il faudra un Plan Marshall pour aider les opérateurs dans cette transformation. Il faut que le tourisme durable soit économiquement soutenable, avec un business model cohérent.
TourMaG.com - Pensez-vous que le tourisme et le voyage existeront toujours ?
Michel Durrieu : L'humanité a toujours voyagé et cela va continuer. Les hommes se sont toujours déplacés, mais ils ont toujours changé la manière dont ils voyagent. Nous allons trouver de nouveaux usages. Si nous regardons l'Histoire, le tourisme d'affaires, pour le commerce existe depuis la nuit des temps.
Et encore aujourd'hui c'est ce secteur qui dicte les ouvertures de lignes aériennes. Ce sont les passagers à haute contribution qui font vivre les compagnies aériennes. Le voyage d'affaires va être durablement impacté. C'est d'ailleurs un secteur qui souvent anticipe les crises, et stoppe ses activités avant le loisir. C'est aussi ce secteur qui redémarre avec un temps d'avance.
Le voyage d'affaires est un très bon indicateur de l'état du marché.